La forteresse et la prévôté de Poilvache : les grandes lignes du contexte politico-territorial (XIIIe-XVe siècles)

Le traité de Dinant, en 1199, règle la séparation des terres de Henri l’Aveugle, comte de Luxembourg et de Namur1. Philippe le Noble, second fils du comte de Hainaut Baudouin V – héritier initial de Henri l’Aveugle avant que celui-ci ne devienne père –, reçoit le comté de Namur et le titre de « marquis de Namur »2. Les terres namuroises s’étendent sur la rive gauche de la Meuse, globalement de Namur à Bouvignes, et comprennent également les domaines septentrionaux de la rive droite du fleuve, c’est-à-dire les terres sises entre la Meuse et la forêt d’Arche3.

Carte du comté de Namur en 1579. À l’est de la Meuse, les massifs forestiers rappellent l’ancienne forêt d’Arche au sud de laquelle est constituée la prévôté de Poilvache au XIIIe siècle. Gravure colorée par Jean Surhon (© SAN)
Carte du comté de Namur en 1579. À l’est de la Meuse, les massifs forestiers rappellent l’ancienne forêt d’Arche au sud de laquelle est constituée la prévôté de Poilvache au XIIIe siècle. Gravure colorée par Jean Surhon (© SAN)

 

Ermesinde de Luxembourg, fille de Henri l’Aveugle, et son époux Thibaut de Bar héritent quant à eux des comtés de Luxembourg, de La Roche et de Durbuy, ainsi que des terres – anciennement namuroises – situées sur la rive droite de la Meuse en-deçà de la forêt d’Arche. C’est dans ces terres enclavées dans les territoires namurois et liégeois, à quelques kilomètres au nord de Bouvignes (comté de Namur) et de Dinant (principauté de Liège), qu’est fondée la forteresse de Poilvache dans le premier tiers du XIIIe siècle. Dans la seconde moitié de ce siècle, ces terres sont rassemblées en une « prévôté de Poilvache ». Celle-ci, dont la forteresse est le siège, s’étend jusqu’à la région hutoise au nord et inclut des terres dont les plus au sud comprennent les villages de Haybes et de Hargnies (actuelles Ardennes françaises, région de Givet).

La prévôté est un espace au sein duquel s’exerce la juridiction d’un prévôt, officier désigné par le pouvoir comtal et chargé, entre autres, de rendre la justice et de percevoir divers revenus, notamment judiciaires. Elle regroupe trois grands types de terres. Les premières dépendent directement des comtes de Luxembourg puis de Namur. Les deuxièmes sont des fiefs (58 en tout), c’est-à-dire des domaines concédés à des vassaux, lesquels peuvent y exercer des droits mais sont chargés, en contrepartie, de certaines obligations vis-à-vis des comtes4. Les dernières sont des alleux, des terres tenues librement par des tiers. Toute affaire concernant les fiefs et les alleux de la prévôté, de même que leurs détenteurs, est portée devant la « Cour prévôtale de Poilvache », à la tête de laquelle se trouve le prévôt.

Sur le plan politique, la forteresse de Poilvache appartient successivement à trois grands princes et connaît donc trois « périodes » : luxembourgeoise, namuroise puis bourguignonne. Entre sa fondation dans le premier tiers du XIIIe siècle et 1342, Poilvache dépend des comtes de Luxembourg. Elle est alors la sentinelle la plus septentrionale de ces princes dont elle défend, depuis son promontoire rocheux dominant la Meuse, les terres ceinturées par les domaines namurois et liégeois. 

La forteresse et la prévôté de Poilvache sous les comtes de Luxembourg (vers 1320). Réalisation Élise Embrechts, Phi Média. © MPMM
Évocation de la situation politico-territoriale de Poilvache vers 1320 (réalisation Phi Média © MPMM)

En 1342, Jean, comte de Luxembourg et roi de Bohême, vend la prévôté et la forteresse à Marie d’Artois, comtesse douairière de Namur. Les quelques années qui suivent voient cette transaction connaître plusieurs rebondissements, le comte s’étant réservé un droit de réméré, c’est-à-dire la possibilité de racheter Poilvache. Prévôté et forteresse rejoignent définitivement le domaine comtal namurois en 1353.

La forteresse et la prévôté de Poilvache sous les comtes de Namur (vers 1350). Réalisation Élise Embrechts, Phi Média. © MPMM
Évocation de la situation politico-territoriale de Poilvache vers 1350 (réalisation Phi Média © MPMM)

La prévôté demeure toutefois un espace particulier, distinct du reste du comté, ce pourquoi le nouveau comte est appelé à prêter « un serment spécifique devant les représentants de la prévôté de Poilvache »5. La Cour prévôtale constitue alors, pour les terres de Poilvache, le pendant du Souverain Bailliage pour les terres du comté de Namur6.

En 1421, le comté de Namur et la prévôté de Poilvache – toujours considérée comme « une annexe du comté »7 – sont achetés au comte Jean III par le duc de Bourgogne Philippe le Bon. Celui-ci procède, par achat, par mariage ou encore par héritage, à la constitution d’un vaste territoire politique : les États bourguignons.

Situation de l’ancienne forteresse de Poilvache dans les principautés bourguignonnes (vers 1450). Réalisation Élise Embrechts, Phi Média. © MPMM
Évocation de la situation politico-territoriale de Poilvache vers 1450 (réalisation Phi Média © MPMM)

Après le comté de Namur, le duché de Luxembourg tombe lui aussi dans l’escarcelle bourguignonne en 1443. Les territoires séparés en 1199 sont donc à nouveau réunis sous un même pouvoir au milieu du XVe siècle. Ce pouvoir bourguignon abandonne le site de Poilvache après sa destruction par les troupes liégeoises en 1430 : « il faut dire que son importance militaire a considérablement diminué. L’ennemi liégeois peut être contrecarré dans ses projets grâce au château de Bouvignes et aux structures défensives de Crèvecœur pour lesquels la Meuse constitue une protection supplémentaire. De plus, les données stratégiques évoluent. La constitution des Pays-Bas bourguignons, puis habsbourgeois, marque un tournant définitif au niveau géopolitique. Dorénavant, la menace la plus sérieuse viendra de France. Dans ce contexte, les fortifications de Poilvache deviennent, d’une certaine façon, accessoires »8. La prévôté de Poilvache continue par contre d’exister, comme circonscription administrative et judiciaire du comté de Namur, jusqu’en 1794. La Cour prévôtale, laquelle est un temps composée de trois instances subalternes aux compétences spécifiques9, siège le plus souvent à Namur après 1430.

Bibliographie

ANTOINE 2017 : ANTOINE J.-L., Des origines et des débuts bien tourmentés, dans SAINT-AMAND P. et TILMANT P.-H. (dir.), Poilvache, une forteresse médiévale en bord de Meuse, Namur, 2017, p. 16-22 (Carnet du patrimoine ; 151).

BODART 2017 : BODART E. et TILMANT P.-H., Description du site et de son histoire à partir du milieu du XIIIe siècle, dans SAINT-AMAND P. et TILMANT P.-H. (dir.), Poilvache, une forteresse médiévale en bord de Meuse, Namur, 2017, p. 22-44 (Carnet du patrimoine ; 151).

de WAHA 1994 : de WAHA M., La marche impériale de Namur-Luxembourg : vicissitudes d’un concept géo-politique de 1150 à 1300, dans MARGUE M. (dir.), Ermesinde et l’affranchissement de la ville de Luxembourg : études sur la femme, le pouvoir et la ville au XIIIe siècle, Luxembourg, 1994, p. 91-159 (Publications du CLUDEM ; 7).

HENIN 2013 : HENIN C., Les pouvoirs politiques du comté de Namur. Répertoire des institutions publiques centrales, régionales et locales de l’an mil à 1795, t. I : Institutions centrales, Bruxelles, 2013 (Archives générales du Royaume et Archives de l’État dans les provinces. Studia ; 140).

LAHAYE 1895 : LAHAYE L., Le livre des fiefs de la Prévôté de Poilvache, Namur, 1895 (Inventaires des archives de l’État dans les provinces).

STUCKENS 2018 : STUCKENS A., Poilvache, la forteresse convoitée des princes (fin XIIIe-début XIVe siècle), dans Quoi de neuf à Poilvache ?, Bouvignes-Dinant, 2018 (Cahiers de la MPMM ; 12).

 

TOPONYMIE

Jean Germain

QUOI DE NEUF A POILVACHE ?