Villes et châteaux : quelques exemples sur la Meuse et l’Aisne

 

En aval de Mézières, la situation politique est changeante au cours du Moyen Âge : aux Xe-XIe siècles, des « comtes » cherchent à prendre possession de points stratégiques qui peuvent être sources de profit, puis plus tard, du XIIIe au XVe siècle, les grandes familles veulent contrôler de manière plus large le cours de la Meuse : Rethel, Hainaut, Luxembourg, Namur, La Marck sur une zone-limite où la frontière du royaume de France remonte ensuite vers Givet à partir du XVIe siècle. Et, vers l’est, Mouzon ne devient vraiment « française » qu’au XIVe siècle.

Mouzon

Mouzon est au départ un site de marché (Moso-Magos) près du franchissement de la Meuse par la voie Reims-Trèves, qui semble avoir servi d’axe structurant au peuplement, situé probablement de part et d’autre de la Meuse. Vers 500, Mouzon est déjà un sujet de litige entre Remi, évêque de Reims, et Francon, de Tongres, reflet de l’importance du lieu et de la fluctuation des limites religieuses.

À l’époque mérovingienne, Mouzon est qualifié de castrum mais aussi de vicus sur les monnaies, argument un peu mince pour affirmer que la structure bi-partite de l’agglomération existe déjà de part et d’autre du canal des moulins (ces derniers créés entre 999 et 1026 par l’abbé Boson1) qui recoupe le méandre et dont l’antiquité reste à démontrer.

Mouzon se compose donc de deux parties, l’une autour de l’église paroissiale Saint-Martin et l’autre autour de l’église Notre-Dame, qui semble bien antérieure à la fondation du monastère bénédictin en 971 par l’archevêque Adalbéron ; ce faisant, il confortait les positions en ce lieu à la fois de son église de Reims et de sa famille d’Ardenne.

En cette seconde moitié du Xe siècle, Mouzon comporte en outre trois autres églises : Sainte-Geneviève au faubourg, Saint-Denis (qui fut paroissiale) proche de Saint-Martin, et Saint-Pierre, église cémétériale, bien éloignée, sur le coteau qui domine la ville au nord-ouest, le long de la voie romaine menant à Yvois et Trèves : la multiplicité des églises est un indice d’un peuplement assez important. Mises à part Saint-Pierre et Sainte-Geneviève, les autres sont à l’intérieur de l’emprise urbaine entourée par une enceinte restaurée en 902 par l’archevêque Hérivée; ce castellum avait déjà été assiégé par Carloman en 871 et, lors du siège de 943 par Louis d’Outremer, des maisons suburbaines furent incendiées (faubourg Sainte-Geneviève ?).

Mouzon, vers 1000 (P. Bertrand, AtlasMed 2017)
Mouzon, vers 1000 (réalisation P. Bertrand, AtlasMed 2017)

Vers 1025, l’abbé Boson avait fait construire un mur autour de l’abbaye : clôture ou enceinte ? en 1992, des fouilles à proximité de l’abbatiale ont mis au jour un mur « carolingien » coupant la voie romaine2. À proximité de ce mur une motte a existé jusqu’en 1963 : encore au XVe siècle, elle était le centre d’un petit fief (tenu alors par un La Marck de Sedan) ; située à 60 m de l’abbatiale actuelle, elle semble bien avoir été la résidence (ou le symbole du pouvoir) de l’avoué de l’abbaye, avouerie tenue, aux Xe-XIe siècles, par les Ardenne-Verdun.

Mais point de château dans tout cela : il n’apparait qu’après la cession de Mouzon au roi de France, en 13793 ; ce château est construit en un lieu tout différent, près du canal des moulins, qui sert aussi à la navigation (attestée en 1437 et 14404) dont il contrôle le trafic ; lié à l’enceinte urbaine, c’est un vrai château qui occupe une part notable de la ville. 

Mouzon en 1631 : on voit bien ici l’importance et la position du château dans la ville (BNF, département Cartes et plans, Registre C : Plan de la Ville et Chasteau de Mouzon)
Mouzon en 1631 : on voit bien ici l’importance et la position du château dans la ville (Plan de la Ville et Chasteau de Mouzon, Paris, Département Cartes et plans, Registre C © BnF)

Mouzon est une structure évolutive, où le château bouge ; et, au départ, on n’est pas sûr de la situation du castrum : autour de la future abbaye ou autour de la paroisse ? La présence de nombreux sarcophages mérovingiens autour de Saint-Martin et de Saint-Denis pose question : ne sont-elles pas des églises funéraires extra-muros à l’origine ?

Château-Porcien

La voie romaine Reims-Cologne traverse l’Aisne puis remonte sur le plateau par un vallon qui sépare deux hauteurs : l’agglomération gallo-romaine, située à l’ouest sur le plateau de Nandin, semble avoir été plus développée et structurée qu’à Mouzon5; près de sa porte nord se trouvait l’église Saint-Martin (citée dans le testament de saint Remi ?) attestée comme mère-église en 1160 : de cette date, à sa disparition, elle fut complètement isolée.

Au débouché du pont, l’agglomération se développe autour du carrefour et se prolonge dans le vallon sur l’axe de la voie « romaine » ; outre Aisne, un prieuré Saint-Thibaud est fondé en 1087, pour l’abbaye de Saint-Hubert, par le comte de Porcien, dans un faubourg préexistant6. Dominant le tout, le château, qualifié de forteresse en 12207, est implanté à l’extrémité du versant est ; en arrière de celui-ci, sur le plateau, s’étendait le « vieux marché » attesté en 13088 : marché extérieur à la ville comme à Mouzon (à l’origine) mais lié au château. 

Château-Porcien en 1606 : à gauche le plateau de Nandin, au premier plan, le faubourg autour du prieuré Saint-Thibaud, à l’horizon, l’église Saint-Martin; le vieux marché était derrière le château, hors enceinte (extrait de DUVOSQUEL J.-M., éd., Albums de Croÿ, t. II, Bruxelles, 1992, planche 144, Éditions du Crédit Communal)
Château-Porcien en 1606 : à gauche le plateau de Nandin, au premier plan, le faubourg autour du prieuré Saint-Thibaud, à l’horizon, l’église Saint-Martin; le vieux marché était derrière le château, hors enceinte (extrait de DUVOSQUEL J.-M., éd., Albums de Croÿ, t. II, Bruxelles, 1992, pl. 144, éd. Crédit Communal, photo © UNamur, Bibliothèque Universitaire Moretus Plantin)

Celui-ci se composait au départ d’une motte sur l’éperon (peut-être une seconde à proximité9). Il prendra au XVe siècle un développement assez analogue à celui du château de Sedan10. Dans la cour, un prieuré Notre-Dame fondé en 1143 et dépendant de Saint-Nicaise de Reims, était relié à la camera du château par un pont en bois en 131811.

Château-Porcien est qualifié de castellum en 843-877 sur un denier de Charles le Chauve : est-ce déjà notre château, chargé alors de protéger le portus dont dériverait le nom du pagus puis du comté : le Porcien ? Rien n’est moins sûr : le denier indique Porco castello. En outre, le « vieux marché » est sur le plateau et non pas en bordure de l’Aisne.

Le premier comte de Porcien pourrait être ce Bernard qui construisit un château près d’Arches (Charleville), vite détruit en 933 par l’évêque de Tongres Richaire12 ; les comtes implantés sur l’Aisne auraient eu déjà des vues sur cette importante zone de passage de la Meuse.

Rethel

La famille qui tenait le château d’Omont pour l’archevêque de Reims est à l’origine de la création du château de Rethel. Bien que très disputé au Xe siècle, Omont n’a pas donné naissance à une ville, étant situé sur une voie secondaire.

Au contraire, Rethel est situé à l’endroit du passage de l’Aisne par une route qui court-circuite l’ancienne voie romaine par Château-Porcien.

Les comtes de Rethel apparaissent au début du XIe siècle (avant 1026) et il est fort probable que le donjon de structure assez complexe datait de cette période13. Dans son dernier état lisible, sur un beau plan du XVIe siècle, le château comportait une enceinte développée, raccordée à celle de la ville ; en 1261, le comte de Rethel peut faire célébrer la messe dans sa salle ou dans sa chambre14. On ignore comment la ville, est née puis s’est développée : sa première enceinte datait de 135715 mais elle était déjà entourée de fossés en 132216. En 1118, l’église Sainte-Marie sise en dehors des murs du castellum fut restituée à Saint-Remy de Reims : dans son état actuel, cette priorale est associée à la paroissiale Saint-Nicolas dont on ignore la date de fondation (avant 127917). Une charte fut accordée aux bourgeois de la ville en 1253 : elle mentionne le donjon et la ville18.

Mézières

À la racine d’un méandre traversé par la voie Reims-Cologne, le château de Mézières édifié par le comte Erlebald, fut assiégé, en 920, par l’archevêque de Reims Hervé parce qu’il était bâti sur des terres de son église, très certainement la paroisse et l’église de Saint-Julien ; celle-ci était en bordure de la voie, le long de laquelle plusieurs cimetières s’alignaient, du Bas Empire jusqu’à l’époque franque. Ces cimetières étaient-ils ceux des habitants de la « ville » qui s’étendait entre Montcy Saint-Pierre et le plateau de Berthaucourt, agglomération dont des découvertes récentes19 ne permettent pas encore de préciser la structure (étendue mais diffuse) ?

Le noyau du château est une motte qui, comme à Mouzon, contrôlait la voie romaine contrainte de prendre un tracé en chicane. Ici aussi, la voie formait l’épine dorsale de la ville. En 971, l’archevêque Adalbéron mit le château sous la responsabilité de son frère Godefroid d’Ardenne.

Dans le cours du XIe siècle, plusieurs indices indiquent qu’il y a déjà là plus qu’un château ; la « noblesse » locale fournit des moines aux abbayes de Waulsort (l’abbé Erembert mort en 1033) et de Saint-Hubert du temps de l’abbé Thierry II (1055-1086), des personnages d’une culture certaine20.

Autre signe de peuplement, la situation paroissiale évolue dans la première moitié du XIIe siècle, Saint-Julien devient prieuré de Mouzon et la chapelle Notre-Dame proche du château devient paroisse. Enfin une collégiale est établie dans le château en 117621 : ce qui nous permet de connaître l’existence d’écoles auparavant gérées par le chapitre de Braux (en aval et aussi contrôlé par le comte de Rethel) et maintenant aux mains de celui de Mézières.

En 1233, la charte de franchise montre une ville qui se structure sous l’impulsion du comte22; elle permet d’en dessiner une première physionomie : il est question d’un burgus, la rue du grand Bourg (l’ancienne voie romaine) au sud du château ; vers l’ouest dans l’ancienne basse-cour (?), une halle (ou deux ?) et l’église Notre-Dame ; Saint-Julien est maintenant séparé de Mézières par les murs de la ville (villa) ; le canal des moulins ferme le méandre à l’est, là où est la porte d’Ardenne : au-delà de cette porte s’est développé le faubourg de Berthaucourt, dans le courant du XIIIe siècle (rue principale attestée en 1273).

Mézières au XIIIe siècle (P. Bertrand, AtlasMed 2017)
Mézières au XIIIe siècle (réalisation P. Bertrand, AtlasMed 2017)

Il semble donc que le burgus est alors fermé par une enceinte complète ; mais on pourrait imaginer une étape précédente composée de deux murs de barrage, l’un vers Saint-Julien à l’ouest et l’autre constitué par le canal des moulins. L’enceinte de Mézières pourtant conservée en grande partie n’a pas été suffisamment étudiée23.

Au XIVe siècle, la ville s’organise également sur un axe perpendiculaire, matérialisé par deux ponts, au sud et au nord de la racine du méandre, auxquels correspondent deux faubourgs : du Pont d’Arches au nord et du Pont de Pierre au sud ; permettant de couper le méandre (les ports sont aux deux extrémités de cet axe) et point d’arrivée de la route de Rethel ; ce nouvel axe concentre une grande partie du commerce24.

On n’a pas une idée précise de l’évolution du château, enveloppé par les rues du Grand et du Petit Bourg : il semble assez vaste puisque des hommes du comte sont parfois autorisés à y construire des maisons.

Un incendie en 133825 marque le commencement de la fin pour le castrum superius : Chastillon donne, à la fin du XVIe siècle, une image trompeuse de ce château en complète contradiction avec sa vue d’ensemble de la ville où il n’y a plus rien hormis la motte26. Sa fonction militaire est alors mince (la motte servira encore de cavalier pour l’artillerie aux XVIe et XVIIe siècles). La fonction résidentielle glisse près du pont d’Arches dans un palais construit peut-être au moment de la prise de contrôle par les bourguignons vers 1384 ; ce palais résidentiel néanmoins fortifié est assez ancien en 1409 pour nécessiter de grosses restaurations, ce qui permet de mieux le connaître27

Mézières, le château et le palais vers 1600 : en bas à droite, la vue du château ne semble guère réaliste ; les deux vues du « Petit Mézières » correspondent assez bien à ce que l’on sait du palais en bordure de Meuse; le château de Samson ferme le cadrage de la gravure sans lien évident (Cl. Chastillon, topographie françoise, photo Jacques Philippot © Région Grand Est- Inventaire général)
Mézières, le château et le palais vers 1600 : en bas à gauche, la vue du château ne semble guère réaliste ; les deux vues du « Petit Mézières » correspondent assez bien à ce que l’on sait du palais en bordure de Meuse; le château de Samson ferme le cadrage de la gravure sans lien évident (Cl. Chastillon, Topographie françoise, photo J. Philippot © Région Grand Est- Inventaire général) 

Givet et Warcq

Ces deux agglomérations partagent une histoire et des composantes communes.

Warcq apparait en 971 lorsque l’archevêque Adalbéron d’Ardenne met le siège devant le château que vient d’y construire le comte Otton, qui serait l’ancêtre de la lignée des Chiny28. Il est édifié sur le territoire de Guilloy dont l’église paroissiale est dédiée à saint Hilaire ; à proximité du village se tiennent des foires (qui ont perduré jusqu’au XVIIIe siècle) non loin du passage de la Meuse par la voie romaine Reims-Cologne, sur un pont d’origine gauloise. Dès 971, le château se compose d’une enceinte semi-circulaire adossée à la Meuse, avec tours, en matériaux mixtes, et d’un donjon qui correspond à la motte qui a subsisté jusqu’au XIXe siècle : au confluent de la Sormonne et de la Meuse, cette motte est extérieure à l’enceinte. À l’intérieur, la chapelle du château, dédiée à saint Jean-Baptiste, existe encore, un édifice roman transformé en église-halle au XVe siècle. En effet, Warcq a survécu à ce premier siège : après avoir appartenu aux Chiny, le lieu devient une châtellenie du comté de Rethel, entre 1371 et 138029. 

Warcq et Mézières au XIIe siècle (P. Bertrand, AtlasMed 2017)
Warcq et Mézières au XIIe siècle (réalisation P. Bertrand, AtlasMed 2017)

La structure n’a pas changé jusqu’à la fin du XVIIIe siècle : la motte est toujours là et l’enceinte, en dur, comporte cinq tours dont il subsiste des vestiges ; en particulier, une grosse tour à l’angle sud-ouest, en bordure de la Meuse (XVIe siècle ?).

L’enceinte s’est emplie de maisons, peut-être dès sa création, sans doute dès la fin du XIe siècle ; mais elles n’en ont guère débordé qu’au XIXe siècle. Le peuplement à l’extérieur se compose de granges seigneuriales.

À Givet l’origine ancienne du vicus est attestée par la présence, au début du VIIIe siècle, de saint Hubert venu y séjourner dans son tabernaculum stabilitum situé sur la rive droite à proximité de l’église-mère Notre-Dame ; en 817, cet ensemble est donné (avec une partie de l’ancien fisc ?) par Walcaud, évêque de Tongres à l’abbaye de Saint-Hubert. L’état des lieux est mieux connu pour le XIe siècle en raison des démêlés entre l’abbaye et les Chiny qui sont également implantés ici30.

Les difficultés portent entre autres sur les taxes liées au pont (on peut évidemment épiloguer sur le sens du mot pons) ; celui-ci permet à l’ancienne voie romaine Vermand-Cologne de traverser la Meuse ; au débouché du pont sur la rive droite, se tenaient des foires, attestées seulement au XVIe siècle.

Où est la résidence comtale à Givet ?

Un castrum Givel n’est attesté qu’en 1155, mais, dès 920, un Thierry (apparenté aux Ardenne ?), comte du fisc de Givet, est mentionné dans un acte concernant Stavelot ; un autre comte, Erluin, est cité dans le cours du même siècle.

Sur l’autre rive, en amont du pont, le noyau de Givet Saint-Hilaire présente la même structure, en demi-cercle adossé à la Meuse, qu’à Warcq. Il n’y pas de motte mais la tour Victoire (XIIIe-XVe siècle) est le dernier témoin d’une résidence seigneuriale, située à l’angle sud-ouest de l’enceinte.

Sur l’autre rive, la tour Grégoire, isolée, fort ancienne malgré son apparence (en partie reconstruite coté Meuse en 1851), contrôle l’ensemble du territoire depuis le rebord du Mont d’Haurs.

Le castrum possède comme à Warcq, une église secondaire, ici dédiée à saint Hilaire dépendante de la paroisse Notre-Dame. Une halle existe à proximité immédiate de l’église, comme à Warcq. 

Givet au XIIe siècle (P. Bertrand, AtlasMed 2017)
Givet au XIIe siècle (réalisation P. Bertrand, AtlasMed 2017)

Mais les composantes sont ici réparties différemment, de part et d’autre du fleuve et plus resserrées (380 m entre les deux églises) qu’à Warcq, où elles sont sur la même rive (gauche) et assez éloignées les unes des autres (1,23 km entre Warcq et Guilloy).

Si le village de Guilloy est réputé avoir disparu dès le XIe siècle, le vicus Notre-Dame à Givet a perduré jusqu’à nos jours mais est resté ville ouverte jusqu’au XVIIe siècle.

L’évolution des deux castra est bien différente. Warcq n’est guère sorti des limites du château qui lui a donné naissance, malgré son rôle administratif.

Givet Saint-Hilaire a beaucoup plus évolué : en 1250, Agnès de Chiny qui a reçu la terre de Givet en douaire, se dit « dame noble de Givet et seigneur d’Agimont » ; c’est la première mention du château d’Agimont. À 3,6 km au nord-ouest de Givet, celui-ci se présentait dans son dernier état, connu par une très belle aquarelle de G. Neyts (milieu du XVIIe siècle), comme un château resserré à hautes courtines et tours élevées (XIVe et XVe siècles ?) : il ressemblait assez fort au château de Sedan. Il a subi plusieurs sièges et, lors de celui de 1308, la tour principale fut incendiée, ce qui laisse supposer qu’il en avait déjà d’autres. De nos jours, le château est revenu à un état de ruine favorable à une fouille archéologique qui permettrait de mieux le connaître et préciser la part due à la fondatrice31.

On peut expliquer le choix du site d’Agimont (acutus mons) par des raisons d’évolution de la fortification mais le castrum Givel devait être plein à craquer vers 1250. En 1511, des maisons sont déjà construites sur l’emplacement des fossés qui ont été lotis32 ; il semble même qu’un petit faubourg a débordé vers le passage de Meuse (un ponton désormais) et la rue d’Estrée (l’ancienne voie romaine) ; celle-ci était bordée par des exploitations agricoles sur le côté opposé au castrum (il en existe encore une). La construction de Charlemont en 1555 ajoute une nouvelle entité au vicus et au castrum : administrativement, l’ensemble ne sera toutefois unifié qu’au début du XVIIIe siècle, après les travaux de Vauban33.

Sedan

Située sur un axe ancien qui relie Reims à Liège (par Bouillon), la villa Sodensis et son église apparaissent dans l’histoire en 997 lorsqu’une partie en est donnée à l’abbaye Notre-Dame de Mouzon ; lors de la remise au jour des vestiges de l’église Saint-Martin dans la cour du château, une tombe « carolingienne »34 fut découverte.

En contrebas, deux agglomérations contiguës mais séparées : le Villers (orthogonal mais qui se prolongeait autrefois dans la cour du Château-Bas) et le Mesnil, autour d’une place triangulaire ; la raison de cette bipartition n’est pas connue. Le Villers serait d’origine mérovingienne35 mais son plan permet d’en douter ; le Mesnil triangulaire semble bien être le plus ancien. En 1289, Sedan n’est encore qu’une villa citée avec celle de Balan36.

Une grosse tour à peu près carrée forme avec l’église Saint-Martin le noyau du château ; par sa structure, elle pourrait dater de la fin du XIIe siècle ou du début du suivant mais la dendrochronologie fournit des dates de la fin du XVe siècle, époque de l’achèvement du château médiéval37. Cette association tour seigneuriale/église paroissiale est bien connue dans le domaine mosan : souvent même, le donjon est aussi le clocher de l’église (et inversement), sauf qu’à Sedan, l’église possède sa propre tour-porche, plus ancienne que le « donjon ».

À partir de 1424, sous l’impulsion des La Marck, le château prendra le développement que l’on connaît : un château triangulaire dont la porte ouvre vers le sud-est, puis un épaississement de l’enceinte et une extension vers l’ouest après 1455.

Sedan vers 1500 (P. Bertrand, AtlasMed 2017)
Sedan vers 1500 (réalisation P. Bertrand, AtlasMed 2017)

Au XVe siècle, Sedan est composé de deux unités de peuplement ayant chacune leur clôture propre, le tout dominé par un château, qui enferme l’église paroissiale : une structure curieuse mais bien médiévale. La ville a mis du temps pour se rapprocher de la Meuse : le Villers prendra progressivement de l’épaisseur pour se rapprocher du pont de Meuse attesté dès 1437 (un bac auparavant), extension qui ne sera achevée qu’au XVIIe siècle. 

Sedan vers1600 : version un peu plus tardive mais où le rendu de la ville est meilleur : au centre le Villers orthogonal se distingue du noyau triangulaire du Mesnil, autour de sa récente église Saint-Laurent (Cl. Chastillon, topographie françoise, photo Jacques Philippot © Région Grand Est- Inventaire général)
Sedan vers 1600 : version un peu plus tardive mais où le rendu de la ville est meilleur : au centre le Villers orthogonal se distingue du noyau triangulaire du Mesnil, autour de sa récente église Saint-Laurent (Cl. Chastillon, Topographie françoise, photo J. Philippot © Région Grand Est- Inventaire général)

Fumay et Revin

Ces deux agglomérations ont une structure identique : un méandre barré dont la partie large servait à l’agriculture, le peuplement s’établissant à la racine du méandre. Si Revin a bien disposé d’un mur de barrage (attesté tardivement), on n’y trouve pas de château mais une résidence sans doute fort ancienne (domaine de l’abbaye de Prüm depuis le début du VIIIe siècle). Fumay, un démembrement du grand domaine de Revin, comportait une enceinte avec tours fermant l’isthme et à l’angle aval, en bordure de Meuse, un château, déjà existant en 1302, dont il subsiste une grosse tour du XIVe siècle38, ensevelie sous les remblais d’ardoisières et qui semble bien avoir succédé à la maison de l’avoué (attestée en 126239) ; au centre du mur de barrage, la porte de ville était séparée du château. Le château comportait plusieurs tours selon un bon dessin conservé à Turin (fin du XVIe siècle)40 ; l’album de Croÿ montre une muraille urbaine en bon état tandis que le château est en ruines : on en lit pourtant encore bien le plan sur le cadastre de 1825 et sur l’Atlas de Vendol (1843).

Fumay au début du XVIIe siècle : à gauche, le château en ruines prolongé à droite par l’enceinte urbaine, en bon état ; le fossé en eau est une erreur : A. de Montigny a toujours eu des difficultés à rendre le relief d’où ce genre d’interprétation ; derrière, le méandre, comportant à la fois du bâti et des cultures, est mal représenté, ces dernières étant plutôt au fond de la boucle (extrait de DUVOSQUEL J.-M., éd., Albums de Croÿ, t. II, Bruxelles, 1992, planche 142, Éditions du Crédit Communal)
Fumay au début du XVIIe siècle : à gauche, le château en ruines prolongé à droite par l’enceinte urbaine, en bon état ; le fossé en eau est une erreur : A. de Montigny a toujours eu des difficultés à rendre le relief d’où ce genre d’interprétation ; derrière, le méandre, comportant à la fois du bâti et des cultures, est mal représenté, ces dernières étant plutôt au fond de la boucle (extrait de DUVOSQUEL J.-M., éd., Albums de Croÿ, t. II, Bruxelles, 1992, pl. 142, éd. Crédit Communal, photo © UNamur, Bibliothèque Universitaire Moretus Plantin)

Les Vireux et le Mont-Vireux

Le peuplement est ici fort ancien mais, si le Mont-Vireux a bien été fortifié dès la fin de l’Empire romain, rien ne permet de parler d’un château et d’une ville. Sur la rive gauche, le mont forme un tout avec Vireux Saint Martin : on ne peut pas en dire autant du lien avec le hameau de Molhain et son antique collégiale (VIIIe siècle ?). Sur l’autre rive, Vireux « le Walerand » appartient à une autre entité (Luxembourg)41. La fortification du Mont-Vireux a eu une vie épisodique : au Bas Empire, à l’époque « carolingienne », puis brièvement en 1306-1307, lorsque le comte de Lorraine en tant que seigneur de Florennes y construisit une fortification vite contestée. Dans ce dernier état, c’est une enceinte étendue mais assez faible de constitution : un mur peu épais, sans tours (à la différence de l’enceinte du Bas Empire) ; contre l’enceinte s’appuient quelques bâtiments (habitat, four à pain)42. On ne peut parler ici de forteresse et l’habitat, en contrebas et étalé sur les deux rives de la Meuse, est formé de lieux dont le seul lien est paroissial : celui de la paroisse de Molhain mais ce fut un objet de contestations aux temps modernes43. Ici, le rapport château-ville n’existe pas.

Haybes

Haybes se compose, sur la rive droite, d’une petite agglomération (dont les habitants sont bourgeois au XIVe siècle) et, en aval, d’un château, proche de la rive gauche et situé sur une île ; pour cette raison, il relevait du comté de Namur et de la prévôté de Poilvache44.

On peut attribuer sa création à la famille de Chimay : pour certains, dès le XIIe siècle lorsqu’un Chimay prélève des taxes indues sur le trafic des ardoises de Fumay ; plus certainement, il me semble qu’on doive l’attribuer à Alard de Chimay, sire de Haybes et fils d’Alard IV de Chimay, dernier seigneur de Chimay de ce nom et dont on voit encore la dalle funéraire (vers 1218) dans la collégiale de Molhain ; les Chimay cherchaient depuis longtemps à contrôler le trafic mosan. La construction du château peut être antérieure à 1250 mais il n’est attesté qu’en 1380 : des vestiges en ont subsisté jusqu’au XIXe siècle45.

Le lien entre le château et le bourg est mince : situé à 650 m en aval, le château est associé (en 1337), sur l’autre rive, au moulin et à une grange qui, avec une couture, forment les éléments du domaine castral mais il n’y a pas vraiment de lien avec le bourg, probablement antérieur au château. 

Haybes et Fumay dans la seconde moitié du XVIe siècle : la distance entre le bourg de Haybes et son château est bien nette ; l’image du château de Fumay, assez convenue, reflète cependant bien son aspect (Archives de la Ville de Turin, Architettura Militare, volume III, f°62v : Desen de la riviere de Muse de Charlemont jusques a Fumey)
Haybes et Fumay dans la seconde moitié du XVIe siècle : la distance entre le bourg de Haybes et son château est bien nette ; l’image du château de Fumay, assez convenue, reflète cependant bien son aspect (Desen de la riviere de Muse de Charlemont jusques a Fumey, Architettura Militare, volume III, f°62v © Archives de la Ville de Turin)

Pour conclure

Outre la fonction économique présente en chacune d’entre elles, toutes ces villes ont eu un rôle politique à des degrés divers : chef-lieu de pagus et de comté (Château-Porcien), de pagus simplement (Mouzon et Mézières46), de comté mais pas de pagus (Rethel) ; pour les plus petites, les cas sont variables : des comtes à Givet et Warcq, à Sedan rien mais des ambitieux au XVe siècle (les La Marck). Warcq et Donchery (non évoquée ici parce que sans château) ont périclité du fait de la trop grande proximité de Mézières puis de Sedan. Sans activité économique suffisante, le développement urbain est impossible47.

Selon nous, la « ville »48 de Poilvache n’est pas un  bourg castral, plutôt une basse-cour (comme Mézières en ses débuts) qui n’aurait pas grandi. L’intérêt de Poilvache réside surtout dans la cessation assez précoce de son activité, une aubaine pour les archéologues.

Sources
Archives de l’État à Namur (AÉN), Fiefs et seigneuries, n° 5 : seigneurie d’Agimont (vers 1511)

MGH, SS, 14. Historia monasterii mosomensis, Scriptores, 14.

Bibliographie

BERTRAND 1980 : BERTRAND P., La terre de Givet avant le XIIIe siècle : structure de l’agglomération et du domaine, dans Revue historique ardennaise, XV, 1980, p. 1-33.

BERTRAND 2011 : BERTRAND P., Agnès de Chiny, dame noble de Givet et seigneur d’Agimont, dans Ardenne Wallonne, n°127, 2011, p. 25-33.

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HENRI L'AVEUGLE

Jean-Louis Antoine

QUOI DE NEUF A POILVACHE ?