La céramique de Poilvache

 

Objectifs de l’étude du matériel céramique

L’essentiel du matériel récolté lors des diverses opérations archéologiques menées à Poilvache consiste en tessons de céramiques, restes de vaisselles utilisées par les occupants du château et par ceux de la « ville » attenante, qui s’étend vers l’Ouest, jusque la falaise de la Meuse. Si l’étude de la céramique constitue un précieux outil de chronologie, elle permet également d’approcher le quotidien des utilisateurs de ces récipients en répondant à un certain nombre de questions : quelle vaisselle retrouve-t-on sur le site et quel en fut l’usage ? D’où proviennent ces pots de terres : sont-ils produits sur place, dans la région ou sont-ils issus de réseaux de distribution plus larges ? Parmi ces céramiques peut-on identifier des récipients de plus grande qualité ou ne retrouve-t-on que de la vaisselle d’usage commun ? La céramique utilisée au sein même du château se distingue-t-elle par ses quantités et/ou sa qualité de celle de la « ville » ? Entre le début de l’occupation du site et sa destruction, peut-on observer une évolution de la vaisselle en usage ? Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons dressé un premier inventaire succinct de l’ensemble des tessons collectés sur le site1.

Sélection de céramiques de Poilvache (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Sélection de céramiques de Poilvache (photo R. Gilles © SPW-AWaP) 

Premiers constats

Ce que la céramique nous apprend sur l’histoire du château et de la ville

Ce travail préliminaire confirme que le château et la « ville » sont occupés de façon continue depuis le XIIIe siècle jusqu’à leur destruction complète lors du siège de 1430 conduit par les Liégeois. Les céramiques issues des contextes les plus récents présentent les traces caractéristiques de cette fin d’occupation brutale : traces d’incendie et glaçures fortement altérées, recuites sous l’effet des flammes (changement de couleurs, craquelures, bulles…).

Caractérisation des productions céramiques régionales et locales

La majorité des céramiques récoltées sont des terres cuites de production mosane – à pâte claire, orange ou très cuite, et plus rarement à pâte grise – le plus souvent partiellement glaçurées. Une bonne part de ce matériel mosan répond au répertoire de formes produites dans le centre potier d’Andenne, actif entre le Xe et le XIVe siècle2. L’hypothèse d’un approvisionnement de certaines vaisselles à pâte plutôt rose auprès d’un atelier de potiers plus local est toutefois envisagée3. En effet, certaines céramiques offrent des particularités morphologiques récurrentes non répertoriées sur les sites de production connus tels que celui d’Andenne, notamment un fond convexe dont la base est soulignée par un petit bourrelet saillant très particulier que nous n’avons actuellement observé que sur des poteries médiévales issues de sites de consommation à Dinant et Bouvignes4. De plus, quelques formes atypiques ne trouvent aucune comparaison dans le répertoire des productions mosanes connues : un pichet à panse biconique en terre cuite blanche légèrement rose à glaçure verte mouchetée ; une bouteille à deux anses, panse trapue et fond convexe en terre cuite rose non glaçurée ; un petit pot globulaire à deux anses en terre cuite rose glaçurée ; ou encore les restes de plusieurs pots ovoïdes à deux anses et lèvre droite très courte en terre cuite rose glaçurée.

Pichet biconique à col bombé et cannelé. Terre cuite blanche glaçurée mosane (production locale ?) (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Pichet biconique à col bombé et cannelé. Terre cuite blanche glaçurée mosane (production locale ?) (photo R. Gilles © SPW-AWaP)
Bouteille à deux anses et panse trapue. Terre cuite rose non glaçurée mosane (production locale ?) (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Bouteille à deux anses et panse trapue. Terre cuite rose non glaçurée mosane (production locale ?) (photo R. Gilles © SPW-AWaP)
Petit pot globulaire à deux anses. Terre cuite rouge glaçurée mosane (production locale ?) (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Petit pot globulaire à deux anses. Terre cuite rose glaçurée mosane (production locale ?) (photo R. Gilles © SPW-AWaP)
Pot ovoïde à deux anses et lèvre droite courte. Terre cuite rose glaçurée mosane (production locale ?) (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Pot ovoïde à deux anses et lèvre droite courte. Terre cuite rose glaçurée mosane (production locale ?) (photo R. Gilles © SPW-AWaP)

Enfin, nous avons identifié parmi le matériel récolté à Poilvache, aussi bien dans les contextes liés au château qu’en « ville », une quinzaine de tessons présentant des défauts (glaçures mal cuites, cloquées, contenant des éclats ou déformations de parois) qui ne sont pas sans rappeler les ratés de cuisson tels qu’on les retrouve aux abords d’ateliers de potiers.

À chaque pot son usage

Le matériel en terre cuite mosane retrouvé à Poilvache est essentiellement destiné au service des boissons (pichets et autres pots verseurs ansés). D’autres vaisselles sont plutôt associées au répertoire des récipients de cuisine pour la préparation et le service des mets (terrine, écuelle, tèle, passoire ou encore pot à anse de panier) ou pour la cuisson (marmite tripode, poêlon et pot ovoïde). Le reste du matériel comprend quelques pots de stockage, une tirelire, un couvercle percé (pour y glisser la cuillère en bois ?), un pot de fleur décoré ou une marmite miniature, probable jouet d’enfant. Une céramique a particulièrement attiré notre attention, il s’agit d’une coupelle perforée en terre cuite claire entièrement glaçurée. Les cinq perforations sont reliées entre elles par une croix incisée à la pointe dans la pâte avant cuisson. Cette petite forme pourrait avoir servi de moule à fromage comme le suggéraient déjà R. Borremans et R. Warginaire en 1966 lors de la découverte de deux récipients similaires dans les tessonnières d’Andenne5.

Marmite tripode à lèvre en gouttière. Terre cuite rouge glaçurée mosane (type Andenne) (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Marmite tripode à lèvre en gouttière. Terre cuite rouge glaçurée mosane (type Andenne) (photo R. Gilles © SPW-AWaP)
Couvercle percé. Terre cuite rose glaçurée mosane (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Couvercle percé. Terre cuite rose glaçurée mosane (photo R. Gilles © SPW-AWaP)
Pot de fleur décoré. Terre cuite blanche glaçurée mosane (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Pot de fleur décoré. Terre cuite blanche glaçurée mosane (photo R. Gilles © SPW-AWaP)
Moule à fromage. Terre cuite blanche glaçurée mosane (type Andenne) (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Moule à fromage. Terre cuite blanche glaçurée mosane (type Andenne) (photo R. Gilles © SPW-AWaP)

Les importations et les réseaux d’échanges

Les contextes céramiques issus du château et de la « ville » de Poilvache ont également livré une importante quantité de grès6. Ces céramiques sont toutes destinées au service et à la consommation des boissons : il s’agit de pichets ou cruches, parfois décorés à la molette, de coupelles, de bouteilles, de tasses et de gobelets.

Cruche décorée à la molette. Grès à pâte gris sombre et engobe ferreux (type Langerwehe) (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Cruche décorée à la molette. Grès à pâte gris sombre et engobe ferreux (type Langerwehe) (photo R. Gilles © SPW-AWaP)
Coupelle. Grès à pâte gris clair (type Siegburg) (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Coupelle. Grès à pâte gris clair (type Siegburg) (photo R. Gilles © SPW-AWaP)
Coupelle. Grès à pâte gris clair (type Siegburg) (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Coupelle. Grès à pâte gris clair (type Siegburg) (photo R. Gilles © SPW-AWaP)
Bouteille. Grès à pâte gris sombre et engobe ferreux (type Langerwehe) (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Bouteille. Grès à pâte gris sombre et engobe ferreux (type Langerwehe) (photo R. Gilles © SPW-AWaP)

Tous ces récipients en grès sont produits au sein des ateliers de Siegburg, Langerwehe, Raeren et Brunssum-Schinveld et témoignent d’échanges commerciaux réguliers via le Rhin et la Meuse entre la fin du XIIIe et le milieu du XIVe siècle.

Col de coupe ou de pichet décoré à la molette. Proto-grès à pâte beige rose (type Brunssum-Schinveld) (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Col de coupe ou de pichet décoré à la molette. Proto-grès à pâte beige rose (type Brunssum-Schinveld) (photo R. Gilles © SPW-AWaP)

Que nous apprend la céramique sur les occupants des lieux ?

Au terme de ce premier examen de la céramique découverte à Poilvache, aucun indice ne permet de distinguer la vaisselle retrouvée au sein même du château de celle provenant de la « ville ». Les vaisselles de qualité recensées sont des grès ainsi que quelques vaisselles de table plus richement ornées : principalement des pichets arborant des décors de lignes obliques réalisées à la pointe, de décors estampillés de motifs géométriques et de bandes appliquées parfois décorées à la molette ou au poinçon. Notons également la présence d’un petit élément d’anse (?) à décor anthropomorphe qui devait probablement appartenir à une pièce (pichet ?) de grande qualité7

Élément d’anse (?) à décor anthropomorphe. Terre cuite rouge glaçurée décorée à la barbotine mosane (photo : R. Gilles © SPW-AWaP)
Élément d’anse (?) à décor anthropomorphe. Terre cuite rouge glaçurée décorée à la barbotine mosane (photo R. Gilles © SPW-AWaP)

Ces vaisselles de qualité se retrouvent aussi bien au château qu’en « ville ». En ce qui concerne la vaisselle commune, les proportions de vaisselles de table, de cuisson, de préparation, de stockage et de confort domestique sont également équivalentes dans les deux zones d’occupation. Cette information laisse donc supposer que l’on réserve un même usage aux mêmes céramiques que l’on soit châtelain ou citadin.

Pour aller plus loin…

L’étude systématique et approfondie de ce matériel semble aujourd’hui incontournable pour confirmer ces diverses hypothèses de travail. L’examen macroscopique des pâtes devrait amener de nouveaux éléments quant à la potentielle existence d’un atelier de potiers local, permettre de définir les caractéristiques techniques et typologiques de ses productions et d’évaluer son rayonnement par comparaisons avec la céramique provenant d’autres contextes de consommation, à Dinant, Bouvignes et Montaigle notamment. La quantification de ces tessons mettra en évidence de quelle manière les vaisseliers évoluent depuis le début jusque la fin de l’occupation de ces sites. Ces typo-chronologies reflètent un certain nombre de changements dans les goûts et les usages des populations en place, en lien bien souvent avec le statut social des utilisateurs de cette vaisselle. L’étude d’autres catégories d’objets devrait utilement compléter ces données. Nous pensons plus particulièrement à celle des objets en verre et en métal, vaisselles complémentaires au mobilier céramique en termes de compréhension du site mais que l’on retrouve en moindres quantités du fait des mauvaises conditions de conservation qui leur sont propres.

Bibliographie

BORREMANS 1966 : BORREMANS R. et WARGINAIRE R., La céramique d’Andenne. Recherches de 1956-1965, Rotterdam, 1966.

GENARD 1978-1979 : GENARD J.-C., Étude préliminaire à la restauration partielle de l’escalier du donjon, dans Bulletin des Amis de Montaigle, n°24-25, 1978-1979.

MIGNOT 1986 : MIGNOT Ph., Coupe dans un dépotoir extra muros, dans Bulletin des Amis de Montaigle, n°44-46, 1986.

 

APPLIQUES

Sophie Balace

QUOI DE NEUF A POILVACHE ?