Le fossé et la levée de terre
Au début du XIIIe siècle, l’éperon rocheux sur lequel la forteresse de Poilvache va s’implanter a presque tout pour plaire à ses concepteurs en matière défensive. Indépendamment des considérations de type stratégique qui ont pu découler du traité de Dinant signé en 1199, l’endroit possède de sérieuses qualités militaires. Dominant la vallée de la Meuse de près de 100 m de haut, le lieu constitue naturellement un poste d’observation idéal pour quiconque veut contrôler le fleuve, les chemins qui le bordent et le débouché de la vallée de la Molignée. Il est par ailleurs situé sur la même rive que Dinant, ville importante relevant de la principauté ecclésiastique de Liège. Installer une place-forte à proximité de la cité des Copères peut donc être un choix judicieux. Avoir une vue directe sur Bouvignes qui dépend du comté de Namur n’est assurément pas négligeable non plus. Pour assurer sa défense, le site dispose de plusieurs atouts que lui offre le relief du terrain. À l’ouest, l’éperon est délimité par une falaise. Sur ce côté, toute attaque est donc strictement impossible. Au nord, les pentes du terrain sont telles que l’usage d’engins de siège à contrepoids (trébuchets, mangonneaux, pierrières, etc.) est exclu. À cette époque, l’artillerie à poudre n’existe pas encore. Par ailleurs, des troupes à pied auraient les plus grandes difficultés à lancer des assauts à l’aide d’échelles. La situation est identique sur le flanc sud qui est de plus en partie naturellement défendu par la suite de la falaise.
Il ne reste donc que le flanc oriental par lequel l’éperon est rattaché, via une pente peu importante, aux plateaux occupés par Évrehailles et les villages voisins. L’approche du site ne peut s’effectuer avec facilité que par là. Par ailleurs, toute troupe provenant des plateaux dominera la place-forte et aura donc l’avantage. C’est donc fatalement sur ce côté que seront lancés d’éventuels assauts. Dès lors, cette partie du site devra être fortifiée en priorité et équipée des moyens de défense les plus importants. Le plus simple et le plus radical consiste à empêcher l’adversaire d’atteindre le pied des murailles. Au début du XIIIe siècle en effet, les assauts consistent notamment à dresser des échelles contre les remparts jusqu’à atteindre le sommet de ceux-ci. Si les boulets propulsés par les engins de siège cités précédemment parviennent à provoquer une brèche, c’est par celle-ci que s’engouffreront les attaquants et l’assaut en sera facilité. Pour les défenseurs, l’objectif consiste donc à maintenir l’adversaire le plus loin possible des murailles, d’où l’utilité du fossé. À Poilvache, celui-ci sera creusé dans le calcaire à l’endroit où l’éperon rocheux se rétrécit.
L’idéal aurait été de le remplir d’eau afin de rendre son franchissement encore plus risqué mais c’est rigoureusement impossible : il n’y a pas de source sur le site. Pour remédier à ce défaut, le fond du fossé a été aménagé de façon à le rendre difficilement praticable. Des paliers de hauteur irrégulière y ont été maintenus. Se déplacer d’un point à l’autre du fossé est donc malaisé. L’escarpe a été taillée en pente et il est par conséquent risqué d’y appuyer des échelles.
En dépit de ses dimensions (longueur : 110 m / largeur : de 14 m à 22 m / profondeur maximale de près de 7 m), le fossé ne peut suffire à lui seul en tant que ligne de défense avancée du flanc oriental de la partie château du site. La portée des engins de siège à cette époque varie en effet de 40 m à 220 m1 et est donc supérieure à la largeur du fossé ; ils n’auraient aucun mal à projeter des boulets de pierre contre les murailles et à les endommager jusqu’à y provoquer des brèches. Par conséquent, une ligne de défense complémentaire est vitale et il est indispensable de l’établir le plus à l’est possible. Cela permet de retarder l’adversaire et l’empêche d’employer dès son arrivée les trébuchets et autres engins du même genre. Ce dispositif est mis en place sous la forme d’une levée de terre dont le tracé est encore partiellement visible aujourd’hui sur 65 m de long. Par rapport au parking actuel, elle présente une hauteur maximale de 4,50 m. Il est vraisemblable qu’elle était surmontée d’une palissade de bois dont rien n’a subsisté.
Le franchissement du fossé et le chemin de défilement
Afin de franchir le fossé et d’entrer dans la forteresse, un pont-levis est indispensable. Aucune trace archéologique n’en a été découverte jusqu’à présent. En effet, le tronçon du fossé où il était implanté n’a jamais été fouillé pour des raisons d’accessibilité au site. On sait toutefois par un plan de 1570 qu’à cette époque il en subsistait deux piliers qui supportaient la partie fixe. Au pont-levis succède l’entrée de la place forte par la première porte du chemin de défilement. À l’heure actuelle, cette entrée se présente sous la forme d’un large passage entre deux massifs de maçonnerie. Le chemin de défilement, construit en plusieurs phases, a une double fonction. D’une part il sert de lieu de contrôle et de surveillance pour quiconque veut entrer à Poilvache. À cet effet, de petites salles ont été aménagées contre les première et deuxième portes ; elles abritaient vraisemblablement des membres de la garnison. D’autre part, il est conçu pour retarder au maximum l’adversaire en cas d’attaque. Il se situe beaucoup plus bas que le chemin de ronde dont la courtine sud du château était assurément équipée. Les défenseurs dominent donc tout assaillant qui aurait réussi à entrer dans le chemin, leur donnant ainsi un net avantage. Par ailleurs, le chemin est équipé de trois portes que l’on peut qualifier de fortifiées compte tenu de leurs équipements. La première se situe entre deux constructions quadrangulaires, aux murs épais, ayant certainement eu la fonction de tours. Dans l’épaisseur de leurs maçonneries sont aménagés des orifices permettant de faire coulisser une poutre de bois afin de renforcer la porte contre toute tentative d’enfoncement. Le même système s’applique à la deuxième porte.
De plus, celle-ci est flanquée côté sud de deux structures défensives, dont une tour semi-circulaire. Contre cette dernière se trouve l’un des deux escaliers qui donnaient accès au chemin de ronde. Enfin, pratiquer des tirs en enfilade est impossible sur toute la longueur du chemin de défilement. On constate en effet que ce dernier, à partir de la deuxième porte, prend une orientation plus marquée vers l’ouest.
Les murailles primitives du château et du bourg
Les fouilles ont clairement démontré qu’à l’origine, la partie château de la forteresse est uniquement défendue par des murailles délimitant un quadrilatère d’environ 70 m sur 80 m et qui sont dépourvues de tour2. Il s’agit là d’un défaut particulièrement grave en matière de défense puisqu’il est impossible de protéger le château par des tirs latéraux. Les angles morts ainsi provoqués ne le permettent pas. Le côté est étant le plus exposé à d’éventuelles attaques, le rempart élevé sur ce flanc est épais de 2,10 m. Le rempart nord, difficilement accessible en raison du relief du terrain, n’a qu’une épaisseur moyenne de 1,40 m. La muraille sud, défendue par le chemin de défilement, est épaisse de 1,50 m à 1,60 m.
Faute de fouille, l’épaisseur du rempart ouest demeure indéterminée à l’heure actuelle. La hauteur maximale actuellement conservée, côté sud, est de 7 m mais elle ne représente assurément qu’environ 65 à 75 % de l’élévation primitive. Presque toute trace du chemin de ronde a disparu. Le château semble également avoir été considéré comme un réduit défensif potentiel, au cas où le bourg aurait été attaqué et pris au cours d’un siège. C’est ce qui explique vraisemblablement la présence d’un rempart sur le côté ouest du château, le séparant de ce bourg. Ce dernier est lui aussi défendu par une enceinte, sauf là où la falaise rend inutile ce type de fortification. Il semble qu’à l’origine, elle aussi est dépourvue de tour comme le suggère l’examen des maçonneries encore en élévation3. Compte tenu de la pente du terrain qui entoure cette partie de la forteresse, tout usage d’engin de siège est impossible. Dès lors, il n’est pas indispensable de construire une muraille trop importante. L’épaisseur de celle-ci, au nord et à l’ouest, varie de 1 m à 1,30 m et la hauteur maximale conservée est de 7,50 m. Sur le côté ouest, des corbeaux portent un chemin de ronde en bois. Il en existe un autre, construit selon la même technique, sur une partie du rempart nord. À hauteur de la maison « au grand pignon » par contre, le chemin de ronde est partiellement aménagé dans l’épaisseur de la muraille. Par ailleurs, la courtine sud-est, d’une épaisseur moyenne de 0,80 m, présente en plusieurs endroits des décrochements où des ouvertures de tir sont aménagées afin de permettre de couvrir ses flancs. Son état de destruction est important et rien ne permet d’affirmer qu’elle présente au moment de l’occupation du site une élévation similaire à celle de la courtine sud du bourg, conservée au maximum sur 5,70 m de haut.
Les tours du château et du bourg
Dans la partie château du site, il est prouvé par les recherches archéologiques que les tours de Luxembourg, des Bohémiens, du Nord et semi-circulaire Nord sont postérieures à la construction des courtines4. Ces dernières ont dû être détruites sur de très courts tronçons aux emplacements choisis pour l’édification des tours. Il s’agit des angles nord-est et sud-est du château, ainsi qu’au centre des murailles est et nord. Des portes y ont été créées, donnant accès aux nouvelles structures de défense. Les tours se trouvent à presque égale distance les unes des autres, permettant ainsi un flanquement efficace des remparts. Bien qu’elles soient détruites en grande partie, il est indéniable que chacune d’entre elles comportait au moins trois niveaux. Le niveau inférieur a pu être totalement dégagé dans les tours de Luxembourg et du Nord. Il ne présente aucune ouverture de tir vers l’extérieur et sa hauteur varie de 1,20 m à 1,80 m5. Un plancher de bois le sépare du niveau médian, équipé de plusieurs archères.
Ces dernières ne sont pas toutes conservées mais en fonction du flanquement nécessaire des courtines, on peut estimer leur nombre à quatre pour chaque tour et pour ce niveau. À partir de ce dernier, un escalier de pierre donne accès au niveau supérieur. L’existence de celui-ci n’est attestée que par les escaliers partiellement conservés.
La courtine nord du bourg est équipée de deux tours semi-circulaires où F. Donny ne semble pas être intervenu et qui n’ont pas fait l’objet de fouilles archéologiques6. On ignore donc presque tout de leurs dispositions. Dans la tour de l’Ouest, les niveaux médian et supérieur sont bien conservés.
Neuf meurtrières y sont réparties, permettant une défense efficace. Le chemin de ronde des courtines nord et ouest est accessible par deux portes situées au niveau supérieur. De la tour du Midi ne subsiste plus que le niveau inférieur, comblé, et une faible partie du niveau médian. Quant à la tour dite « de la Monnaie », elle ne mérite absolument pas son nom. Cette construction n’est en réalité constituée que d’un court tronçon de rempart courbe reliant les courtines sud et sud-est. Cet élément de défense ne comporte qu’un seul niveau équipé de deux meurtrières.
Le chemin de ronde sur pilliers
Les courtines sud et sud-est du bourg n’ont qu’une épaisseur réduite de 0,75 m à 0,90 m. À l’origine, elles ne comportent que plusieurs meurtrières et rares sont celles qui permettent un flanquement latéral efficace. Aucun chemin de ronde sur corbeau ne semble avoir été prévu au moment de la construction. Sans doute est-ce lié au relief extérieur jugé défavorable à toute attaque et à la proximité de la falaise dominant Houx. Dès lors, la défense de cette partie du site présente de graves lacunes et semble avoir été négligée. En l’absence d’un chemin de ronde, le contrôle visuel sur quiconque tenterait de s’approcher de la forteresse sur ce côté, à partir du ravin de la Coleberre, est donc incomplet. C’est vraisemblablement après le siège de 1238, révélateur des déficiences du site au point de vue défensif, que ce défaut sera corrigé, en tout cas sur une partie des courtines précitées. L’amélioration consiste notamment à construire contre ces dernières une série de quinze piliers quadrangulaires, lesquels portent un chemin de ronde. Ce dispositif est appliqué depuis l’extrémité de la courtine sud jusqu’à l’une des pièces appuyée à la courtine sud-est7.
Le boulevard
Au cours de la construction de la forteresse, au début du XIIIe siècle, l’artillerie ne comporte encore que des engins de siège à contrepoids. Ceux-ci projettent des boulets de pierre à des distances variables et avec une précision inégale. La courtine est du château est la plus exposée à ce type d’armement. Pour s’en protéger, les défenseurs ont construit à cet endroit la muraille la plus importante de tout le site. Avec ses 2,10 m d’épaisseur, elle est, au départ, suffisante pour résister à l’impact des boulets. Ce genre de défense va progressivement devenir inefficace en raison de l’apparition d’une invention redoutable : la poudre noire. Il en aurait été fait un usage militaire pour la première fois en Europe occidentale dans la première moitié du XIVe siècle8. Dès lors, il deviendra progressivement possible de propulser un boulet avec une force démultipliée, provoquant ainsi sur les vieilles murailles des dégâts nettement plus graves qu’auparavant.
À Poilvache, la parade face à ce nouveau danger va consister à construire un deuxième rempart à environ 2 m à l’est de la courtine primitive. L’espace entre les deux maçonneries est partiellement comblé avec des remblais. La largeur de ceux-ci, additionnée aux deux murailles, permet de créer un ensemble d’environ 6 m d’épaisseur.
La masse des remblais est de nature à absorber l’onde de choc provoquée par l’impact des boulets. Le nouveau système a un autre avantage : par son emprise, il facilite l’usage des canons et des bombardes pour les défenseurs. C’est assurément ce dispositif adapté aux nouveaux armements qui est qualifié de bolewert dans un livre de compte de 1429 et de boloirques dans le texte de Jean de Stavelot relatif au siège de 14309. En français moderne, le terme deviendra boulevard. Ce dernier, selon les critères de la castellologie contemporaine10, est considéré comme un terme désignant de manière générale les structures défensives construites en avancée par rapport aux anciennes courtines. Ces structures adaptées à l’artillerie à poudre peuvent se présenter différemment au point de vue de leurs plans et de leurs positions. La barbacane et la fausse-braie sont des types de boulevards. À Poilvache, d’après la terminologie technique en usage aujourd’hui, le dispositif défensif construit à 2 m à l’est de l’ancienne courtine répond bien à la définition de fausse-braie mais c’est certainement sous le terme de bolewert et ses dérivés employés en 1429-1430 qu’il est désigné. L’apparition des boulevards à l’époque médiévale est en effet liée à l’émergence de l’artillerie à poudre et ils sont destinés à recevoir des pièces d’artillerie. Ces dernières sont coûteuses, tant au point de vue de leur fabrication que de leur usage. Dès lors, pour les défenseurs, il est indispensable de les disposer en des emplacements soigneusement choisis, à l’abri de tout assaut trop aisé de l’adversaire. La solution la plus simple consiste à faire précéder les boulevards de fossés. À Poilvache, adopter ce procédé ne pose aucun problème puisque le boulevard sera construit en empiétant sur l’emprise du fossé du XIIIe siècle, du côté de l’escarpe. La largeur du fossé n’en sera que fort peu diminuée. Par contre, disposer des pièces d’artillerie sur la levée de terre située plus à l’est était défavorable en raison de la configuration du terrain. Actuellement, ce dernier ne laisse percevoir aucune trace d’un fossé qui l’aurait précédée11. Par ailleurs, à environ 50 m à peine au nord-est de la levée de terre, le terrain présente une côte régulière vers les plateaux et c’est précisément de ce seul côté que pouvaient provenir les assaillants. Le relief du terrain leur était donc favorable pour l’attaque de la levée de terre. Équiper cette dernière de pièces d’artillerie aurait donc été trop risqué12.
Le boloirque édifié devant la courtine orientale du château relie entre elles en un front continu les tours de Luxembourg, des Bohémiens et du Nord. Son état de destruction est quasi intégral sur certains tronçons. Cela s’explique vraisemblablement par le fait qu’il était directement exposé aux tirs de l’artillerie du prince-évêque de Liège à partir du moment où les troupes de celui-ci avaient pris position au sommet de la contre-escarpe. Indépendamment des effets dévastateurs de cette artillerie, il est plausible qu’une partie des dégâts observés résulte de destructions ordonnées par le prince-évêque après la reddition de la forteresse13.
La question des fiefs de garde
Comme dans tout site fortifié, la garde est à Poilvache un composant essentiel de la vie quotidienne. Dans le cas de la forteresse, l’un des textes qui nous sont parvenus montre que c’est très tôt dans son histoire que la surveillance des lieux a été organisée. Waleran de Montjoie est rapidement amené à s’en préoccuper, comte tenu en outre de son caractère belliqueux qui ne lui vaut pas que des alliés. C’est naturellement à une personne issue de famille noble, Gérard de Dave, qu’il octroie un fief en échange d’un service de garde. L’acte conservé évoque une durée apparente d’un an et un jour. Par la suite et jusqu’à la destruction du site en 1430, les textes indiquent clairement la haute origine des titulaires des fiefs de garde. Ceux-ci ont donc un statut social privilégié. Quel que soit l’endroit d’où ils proviennent et quelle que soit la durée du service auquel ils s’engagent, ils devront résider à Poilvache afin de surveiller et contrôler efficacement les abords du site. Sans doute étaient-ils autorisés à s’absenter temporairement pour, en outre, gérer leurs fiefs mais néanmoins, le principe d’une présence permanente était certainement d’application. Cette caractéristique a évidemment pu varier en fonction du nombre de fiefs de garde et de l’absence de périodes de tensions et de troubles dans la région de la prévôté. Quoiqu’il en soit, les gardiens du site n’arrivent pas seuls à Poilvache. La famille proche, les serviteurs liés au niveau social et les hommes d’armes accompagnent chaque titulaire de fief. Afin de les loger, il faut des bâtiments d’une certaine ampleur et qui sans doute aussi reflètent dans une certaine mesure le statut élevé du principal occupant. Il est par ailleurs indispensable que les édifices soient implantés au plus près des parties de la forteresse à surveiller.
La longueur totale du site est d’environ 360 m, entre la tour de l’Ouest et le point le plus éloigné de la levée de terre située à l’est du grand fossé. Le périmètre des murailles externes atteint près de 700 m. Comment la garde était-elle organisée pour répondre au mieux à la surveillance d’une place-forte d’une telle importance ? A priori, les effectifs auraient dû être plus importants que pour le château de Logne qui jusqu’au milieu du XIIIe siècle semble essentiellement composé d’une enceinte d’un périmètre d’environ 210 m de long ainsi que d’une tour-donjon14. On y recense des effectifs globaux moyens d’environ 25 à 50 hommes, y compris les gardiens responsables de la garde. Une troupe beaucoup plus nombreuse était-elle pour autant nécessaire à Poilvache ? Ce n’est pas certain compte tenu du relief du terrain. L’examen de ce dernier montre incontestablement que certains tronçons du périmètre ne risquaient pas la moindre attaque, en tout cas pas sans courir le risque de graves pertes humaines. La tour dite « de la Monnaie » est implantée à l’extrémité sud du site. Elle n’est éloignée que d’une vingtaine de mètres de la falaise dominant Houx. Le dénivelé sur cette courte distance atteint près de 15 m. L’endroit est beaucoup trop escarpé pour toute tentative d’approche, même en provenant de l’est. Vers le sud-est, des troupes auraient pu tenter de parvenir au pied des murailles à partir du ravin de la Coleberre. Toutefois, un dénivelé de près de 80 m sur une distance à franchir d’environ 250 m donne la mesure des risques encourus. Vers le nord, la situation est à peu près identique entre le chemin partant de l’extrémité occidentale de la falaise et la courtine. La différence de niveau est de près de 50 m sur une distance à franchir d’environ 150 m. À l’ouest, la bande de terre qui sépare le pied de la courtine de la falaise présente en direction de celle-ci une pente redoutable.
Au nord, au sud et à l’ouest, les besoins en effectifs liés à la défense peuvent donc être réduits mais il n’en demeure pas moins qu’une surveillance attentive est indispensable. Il est capital que toute troupe non identifiée et aux intentions inconnues soit détectée le plus tôt possible. C’est en cela que réside le premier objectif d’un chemin de ronde. Celui-ci fournit un point de vue élevé sur les alentours ; il est également en quelque sorte mobile par la circulation que permet le chemin.
Le chemin de ronde de la forteresse était-il continu sur toute la longueur des murailles ? Rien ne permet de l’affirmer. Par endroit, celles-ci sont détruites à environ 90 %. Les recherches archéologiques démontrent qu’il n’en existait vraisemblablement pas entre deux édifices appuyés à la courtine sud-est du bourg. Quoiqu’il en soit, il est indéniable que pour parvenir à une sécurité efficace du site, des effectifs importants sont nécessaires et qu’ils ne peuvent être fournis que par plusieurs titulaires de fief de garde. Il convient donc d’admettre, comme le suggère l’équipe de la MPMM15, que le périmètre à contrôler ait été réparti entre eux. Ils logent sur place. Leur habitat doit certainement remplir certains critères, au nombre plausible de trois : la liaison par rapport aux secteurs à surveiller, le volume afin de satisfaire au logement de plusieurs personnes et l’apparence qui doit refléter le statut social des gardiens. Les textes ne disent évidemment rien de ces aspects. Les fouilles et l’étude des vestiges conservés en élévation fournissent par contre quelques indices quant à la localisation de ces bâtiments liés sans doute à la garde.
L’un d’entre eux est la maison « au grand pignon » (plan : 1), appuyée à la courtine nord. Au niveau de son premier étage, elle est directement associée au chemin de ronde qui traverse le pignon oriental et se poursuit en direction du château. En effet, la partie du chemin construite dans l’épaisseur de la muraille n’est pas assez large pour permettre à elle seule une circulation efficace indispensable pour des raisons de défense. Cette difficulté est résolue par le fait que le plancher du premier étage de la maison est, d’après la restitution la plus vraisemblable et l’étude des vestiges, au même niveau que la partie maçonnée du chemin. Le chemin de ronde et la ou les pièces de l’étage (à usage de chambres en toute logique) cohabitent donc, même s’il est très vraisemblable qu’il existe une cloison, sans doute pourvue d’une porte, pour séparer l’espace privé de l’espace défensif. Les volumes présentés par le bâtiment sont vastes. Le rez-de-chaussée et le premier étage totalisent près de 260 m², auxquels s’ajoutent le sous-sol (cave et citerne) et les combles. Par ses dimensions, les matériaux employés pour sa construction et son équipement en terme de confort, il est indéniable que l’édifice témoigne du statut social élevé de son occupant, lequel est probablement l’un des titulaires des fiefs de garde connus par les textes16. Il est vraisemblable que lui fut confiée la défense d’une partie de la courtine nord du bourg, à hauteur de la maison et à l’est de celle-ci jusqu’à la tour située à la jonction entre le bourg et le château17.
La maison « au grand pignon » n’est pas le seul cas de figure d’un bâtiment d’une certaine ampleur et dont l’emplacement et / ou des aménagements architecturaux pourraient avoir été choisis en fonction de considérations défensives. Tous n’ont peut-être pas de rapport avec les fiefs de garde et il se peut que la commodité offerte par les courtines afin d’y appuyer un édifice soit la seule considération prise en compte par les constructeurs. Néanmoins, il est intéressant de se pencher sur les implantations de bâtiments en relation possible avec les fiefs précités. À hauteur du centre de la courtine nord du bourg et s’appuyant en partie sur la tour qui s’y élève se trouve un édifice dont subsiste un important tronçon du pignon sud en pierre (plan : 2). Le même matériau fut employé côté ouest et vraisemblablement à l’est. D’après le tracé discernable des vestiges, la construction aurait occupé au sol une surface approximative de 220 m², ce qui en aurait fait un bâtiment plus vaste que la maison « au grand pignon », comme en témoigne le plan de Poilvache de 157018. Une telle superficie permettait de servir d’habitat à un groupe de personnes plutôt conséquent et révèlerait un statut social élevé. Ce dernier et le lien topographique direct avec la tour pourraient être des indices en relation avec un fief de garde.
La courtine ouest du bourg présente une situation similaire de relation étroite entre un bâtiment et une structure défensive. La muraille présente encore les vestiges de deux fenêtres à banquette auxquelles s’ajoute la brèche dite des Patriotes qui n’est elle-même qu’une ancienne fenêtre comme le montre une carte postale ancienne. Il convient donc d’admettre l’existence de deux, voire trois édifices appuyés à la courtine (plan : 3 et 4). L’un d’entre eux (plan : 3) se trouvait à la jonction entre cette dernière et la tour de l’Ouest. La distance entre la fenêtre à banquette et la tour n’est que de 2,50 m. La restitution la plus plausible de l’emprise du bâtiment où se trouvait la fenêtre amène à penser qu’il était nécessaire d’y entrer afin d’avoir accès à la tour. Les édifices étaient construits intégralement en pans-de-bois sur leurs côtés nord, sud et est, d’après l’absence de vestiges maçonnés au sol, contrairement au cas précédemment évoqué (plan : 2)19. Le fait que ces bâtiments aient été construits avec des matériaux périssables plutôt qu’en pierres n’est pas incompatible avec le statut de leurs occupants. Les titulaires des fiefs de garde tirent avant tout leur prestige de leur fonction. Les pièces situées au premier étage bénéficient d’un éclairage naturel par les fenêtres précitées. Leur forme témoigne de la recherche d’un certain confort. La muraille servant d’appui aux bâtiments est trop étroite pour que dans son épaisseur prenne totalement place un chemin de ronde. En conséquence, ce dernier est partiellement construit en encorbellement. Ce dispositif est soutenu par des poutres reposant sur une série de corbeaux dont subsistent de nombreux exemplaires. Ceux-ci dominent de très peu le sommet des fenêtres à banquette.
La restitution de la hauteur des différents niveaux des maisons amène à penser que leur deuxième étage se trouvait à hauteur du chemin de ronde et était en communication directe avec lui. Il est donc plausible que certains de ces édifices aient été occupés par des titulaires de fiefs de garde à qui avait été confiée la surveillance de la courtine ouest du bourg.
Enfin, les fouilles pratiquées au niveau de l’enceinte sud-est en 2005 et 2007 ont révélé l’existence de deux autres bâtiments dont l’aménagement est en lien direct avec les nécessités de la défense. Le premier, d’une superficie au sol de 70 m², est situé contre la muraille, au sommet du tronçon de celle-ci orienté nord-sud et équipé des quinze piliers évoqués ci-dessus (plan : 5). Par sa position proche de la rupture de pente du terrain, l’édifice domine toute cette partie de la courtine et occupe donc un emplacement privilégié en terme de défense. Par ailleurs, sa construction a été adaptée aux contraintes imposées par cette dernière. En effet, la section de muraille contre lequel il s’appuie a été doublée d’un mur interne. Celui-ci a été pourvu de deux embrasures afin de maintenir l’usage des deux meurtrières dont était équipée la courtine à l’origine20.
La création de ce mur a très certainement été prévue afin d’obtenir une épaisseur des maçonneries susceptible de porter la suite du chemin de ronde qui jusque-là était soutenu par les piliers. Les fouilles ont démontré qu’à l’est du bâtiment, l’enceinte ne présente plus de dispositif lié à un chemin de ronde, sur une distance de 35 m. Ces observations suscitent l’hypothèse selon laquelle l’édifice aurait en quelque sorte « commandé » la défense d’une portion de l’enceinte précédant celle où aucune trace de l’existence d’un chemin de ronde n’a été découverte.
35 m plus à l’est s’élève le deuxième bâtiment (plan : 6). D’après les phases de construction révélées par les fouilles archéologiques, il semble n’avoir formé à l’origine qu’un seul vaste habitat de près de 125 m². Sa pièce principale aurait été aussi grande que celle de la maison« au grand pignon » et pourvue d’une cheminée dont certains blocs taillés sont identiques à ceux de cette maison. Le tronçon de la courtine sud-est contre lequel s’appuyait l’édifice fut renforcé par un pilier de plan trapézoïdal auquel furent ajoutés postérieurement d’autres murs21.
L’épaisseur conjuguée de ces maçonneries était de nature à porter un chemin de ronde se poursuivant vraisemblablement vers l’est. Comme dans le cas précédent, on constate ici une adaptation de la courtine dans l’emprise du bâtiment. Parmi le matériel archéologique qui y a été découvert figurent une pointe de javelot et deux boulets en pierre. Par ailleurs, à faible distance, une partie de bassinet (casque) a été retrouvée le long de la courtine sud-est. La présence d’objets à usage strictement militaire à l’intérieur et à proximité de la maison conforte-t-elle l’hypothèse d’une relation entre celle-ci et l’un des gardiens du site ? Les fouilles menées dans le bourg sont encore d’ampleur trop limitées pour que l’on puisse répondre favorablement à cette question.
Le niveau de destruction des édifices présentés ci-dessus est important et limite donc la portée des observations de terrain. La relation entre les titulaires des fiefs de garde et certains bâtiments demeurent de ce fait hypothétique et plusieurs zones d’ombre subsistent. Y avait-t-il par exemple une organisation commune pour la protection de l’ensemble de la forteresse ou existait-il une différence entre le bourg et le château ? Aurait-on eu pour le premier une structure basée sur les fiefs de garde et pour le second une garnison ? Quel était le rôle du châtelain par rapport à la garde ? Sur ces questions, c’est davantage l’étude des textes qui apportera peut-être des éléments de réponse. Malgré la persistance d’interrogations, la confrontation entre les données archéologiques encore fort partielles et les informations historiques fournies par les textes a paru utile et susceptible de déboucher sur une perception moins floue de l’organisation matérielle de la garde à Poilvache.
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SIEGE DE 1238
QUOI DE NEUF A POILVACHE ?